Atomicité (De l')

Titre

Atomicité (De l')

Année de publication

Périodique de publication

Volume

2

Pagination

85-107

Type d'intervention

Champ Scientifique

Domaine disciplinaire

Théorie scientifique examinée

Thèse - Objectif :

Montrer que la théorie atomique est un artifice logique théoriquement et empiriquement fécond, conforme aux principes méthodologiques du système positiviste

Acculturation

Oui

Commentaire acculturation

Le Chimiste-Philosophe présente les six hypothèses principales qui constituent la théorie atomique. Cette présentation doit permettre de faire la preuve que la théorie atomique est une hypothèse théoriquement et empiriquement féconde, conforme aux principes méthodologiques du système positiviste :
1°. Les corps ne forment pas une substance contenue, ils sont constitués par des molécules. (Naquet (1868), pp. 88-90)
2°. Les molécules elles-mêmes sont constituées par des masses plus petites, les atomes, séparées les uns des autres (Naquet (1868), pp. 90-93)
3°. A égal volume, tous les gaz renferment le même nombre de molécules d’où il résulte que le rapport des poids moléculaires est le même que le rapport des densités gazeuses. (Naquet (1868), pp. 93-101)
4°. Il existe des méthodes qui permettent de déterminer les poids atomiques des corps simples (Naquet (1868), p. 101)
5°. Les atomes n’ont pas tous la même capacité de saturation (Naquet (1868), pp. 101-102)
6°. Dans un grand nombre de cas nous pouvons savoir comment les atomes sont unis entre eux dans la molécule (Naquet (1868), pp. 102-107)

École philosophique

Positivisme

Référence bibliographique

  • Deville, Henri Sainte-Claire, « Sur la Dissociation », in Leçons de chimie professées de 1860 à 1869 inclus Société chimique de Paris, T.5, éd. Hachette, Paris, 1864, pp. 255-353.

  • Deville, Henri Sainte-Claire, « Sur l’Affinité », in Leçons de chimie professées de 1860 à 1869 inclus Société chimique de Paris, T.6, éd. Hachette, Paris, 1866, pp.1-85.

  • Lieben, Communication à la Société Chimique de Paris

  • Cahours

  • Berthelot, Marcelin

  • Würtz, Adolphe

  • Gauthier

  • Hofmann

  • Pébal, Communication à la Société Chimique de Paris

Discute :

  • Deville, Henri Sainte-Claire, « Sur la Dissociation », in Leçons de chimie professées de 1860 à 1869 inclus Société chimique de Paris, T.5, éd. Hachette, Paris, 1864, pp. 255-353.

  • Deville, Henri Sainte-Claire, « Sur l’Affinité », in Leçons de chimie professées de 1860 à 1869 inclus Société chimique de Paris, T.6, éd. Hachette, Paris, 1866, pp.1-85.

  • Berthelot, Marcelin

Commentaire Discute
  • Naquet répond aux accucations de Sainte-Claire Deville et Berthelot. Selon ces accucations, les atomistes pratiquent une chimie à caractère métaphysique et anti-scientifique : 

    « Les adversaires de la théorie atomique et des formules de constitution nous accusent chaque jour, d'oublier les principes de notre science; ils disent que nous ne faisons plus de la science positive, mais des suppositions toutes gratuties, qui ne conduisent à rien; qu'en un mot notre chimie est une chimie métaphysique. » (Naquet (1868), p. 85)

    La réponse du Chimiste-Philosophe consiste à faire la preuve de l'accord de la théorie atomique avec les principes méthodologiques du positivisme : 

    « Notre but est de repousser ces attaques en faisant voir que la théorie atomique et les formules de constitution qui en découlent, sont des théories et des hypothèses parfaitement légitimes, permises, même par la philosophie la plus scrupuleuse à ce point de vue, par la philosophie positive.» (Naquet (1868), p. 86)

Intervention citée

Non

Intervention discutée

Non

URL

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k77873h/f88.image

Fiche complète

Oui

Créateur de la fiche

Greber, Jules-Henri

De l’atomicité est le second article de fond en philosophie des sciences publié par Naquet au sein de La Philosophie Positive. Parue en 1868, l’intervention du Chimiste-Philosophe est motivée par les attaques formulées par certains chimistes à l’encontre de la théorie atomique de l'école de Würtz. L’objectif du texte est alors de faire la preuve que cette théorie est un artifice logique théoriquement et empiriquement fécond, conforme aux principes méthodologiques du système positiviste :

« Les adversaires de la théorie atomique et des formules de constitution nous accusent chaque jour, d’oublier les principes de notre science ; ils disent que nous ne faisons plus de la science positive, mais des suppositions toutes gratuites, qui ne conduisent à rien ; qu’en un mot notre chimie est une chimie métaphysique. Notre but est de repousser ces attaques en faisant voir que la théorie atomique et les formules de constitution qui en découlent, sont des théories et des hypothèses parfaitement légitimes, permises, même par la philosophie la plus scrupuleuse à ce point de vue, par la philosophie positive. » (Naquet (1868), p. 85)


Les critiques de la théorie atomique ont été principalement formulées par Sainte-Deville et Marcelin Berthelot (1827-1907). Ainsi, Deville affirme en 1866 :

« L’hypothèse des atomes (…) que nous faisons présider à toutes les réactions des corps que nous étudions, sont des pures inventions de notre esprit, des noms que nous faisons substances, des mots auxquels nous prêtons une réalité. (Les atomistes seraient responsables) de ce mysticisme scientifique dont la chimie donne en ce moment un dangereux exemple. » (Deville (1866), p. 84).

Ces critiques consistent, d’un point de vue philosophique, à accuser les atomistes de pratiquer une chimie à caractère métaphysique. Une telle accusation repose sur la conviction selon laquelle des scientifiques qui sont amenés à postuler, à travers leurs constructions théoriques, des entités inobservables s’engageraient nécessairement dans un programme de recherche s’apparentant à une forme d’essentialisme scientifique. En d’autres termes, les partisans de la théorie atomique, en faisant usage de théorie au sein desquelles sont postulées des entités qui échappent à toute vérification expérimentale directe, seraient nécessairement conduits à s’engager ontologiquement à reconnaître que ces entités existent réellement[1] et qu’elles représentent les causes premières des phénomènes observables[2]. Deville et Berthelot sont amenés à porter une telle accusation du fait, en partie, qu’ils conçoivent la vérification expérimentale dans un sens fort et qu’ils érigent ce dispositif en un critère de démarcation phénoméniste extrêmement strict, ayant pour objectif non seulement de décider du caractère scientifique d’un concept, mais aussi et surtout de fournir un dispositif d’élagage afin de libérer les sciences de toute forme de métaphysique. La pertinence épistémique de cette démarcation repose sur le fait qu’elle évite toute intrusion de la métaphysique dans les sciences. Elle permettrait de définir la frontière entre ce qui est épistémiquement accessible aux scientifiques (le domaine phénoménal) et ce qui ne l’est pas (le domaine extra-phénoménal qui échappe aux moyens expérimentaux). Ainsi, en soutenant qu’un énoncé ne peut légitimement prétendre à la scientificité qu’à la condition de porter exclusivement sur des entités accessibles à l’observation, Deville et Berthelot sont conduits à exclure les atomes du domaine de la connaissance scientifique et à dénoncer les scientifiques qui en font usage dans leur construction de s’engager dans une recherche ontologique des causes premières[3].

Or, selon Naquet, le fait de publier un plaidoyer épistémologique en faveur de la théorie atomique dans un périodique positiviste et de revendiquer un accord avec son programme philosophique permet de faire la preuve que cette accusation est infondée. En effet, l’une des caractéristiques du positivisme est de proscrire la métaphysique des sciences positives[4]. En s’accordant avec le positivisme, les atomistes refusent non seulement la thèse doxastique selon laquelle employer et accepter des théories portant sur des entités inobservables conduit nécessairement à s’engager ontologiquement en faveur de ces entités[5], mais aussi la thèse axiologique prônant l’idée que l’objectif premier et essentiel des sciences chimiques est de construire des théories scientifiques susceptibles de mettre à jour les causes premières des phénomènes chimiques.
En revendiquant un accord avec le système positiviste, le chimiste pose la base du code d’honneur fictionaliste qui sera systématisé par Wyrouboff en 1880 (Wyrouboff (1880)). Ce code d’honneur, qui constitue les conditions présidant à l’introduction théorique d’entités inobservables, permet d’exclure toute interprétation ontologique de ces entités. Il consiste à reconnaître que les concepts théoriques portant sur des entités inobservables sont des artifices logiques provisoires de l’esprit n’ayant aucune prétention ontologique[6].

« Pourquoi donc repousser cette théorie ? Je le concevrais si, à la manière des métaphysiciens antiques, nous acceptions les atomes, les molécules, les groupements atomiques, comme des vérités absolues, comme des faits démontrés. Mais, à l’époque présente, la métaphysique est trop définitivement sortie de toutes les sciences exactes pour pouvoir y rentrer sous quelque forme que ce soit. Les chimistes les plus partisans de la théorie atomique ne considèrent cette théorie que comme une hypothèse (…). » (Naquet (1868), p. 107)

Après avoir contourné l’attaque principale de Berthelot et Deville, Naquet est conduit à examiner la valeur et la fonction de la théorie atomique à partir de la méthodologie de la philosophie positive :

« La philosophie positive, en effet, n’a jamais repoussé les hypothèses. Elle s’est bornée à déterminer dans quels cas elles sont légitimes, scientifiques, utiles, et dans quels cas elles ne le sont pas. Si l’on repoussait les hypothèses d’une manière absolue, toute recherche scientifique se réduirait à un empirisme aussi improductif que fastidieux. La philosophie positive admet d’abord, comme hypothèses légitimes les suppositions qui sont susceptibles d’être soumises à la sanction de l’expérience et d’être ainsi démontrées vraies ou fausses. Elle admet e outre une seconde classe d’hypothèse, à laquelle appartient l’hypothèse atomique (…).[7] » (Naquet (1868), p. 85).

Le Chimiste-Philosophe distingue ainsi deux catégories d’hypothèses dont l’emploi est nécessaire et légitime en science[8]. La première catégorie recouvre les hypothèses phénoménales. La deuxième catégorie recouvre les artifices logiques. La différence épistémique entre les deux catégories d’hypothèses repose sur le fait que les conditions de recevabilité en science diffèrent d’une catégorie d’hypothèses à l’autre : la vérification expérimentale pour les premières, des critères pragmatistes pour les secondes. Naquet avance ainsi qu’on ne peut pas attendre des hypothèses portant sur des entités inobservables le même mode de justification que celui qui convient aux hypothèses phénoménales. Il s’attache alors aux conditions d’acceptabilité des deux catégories d’hypothèses. Les hypothèses phénoménales sont des suppositions qui sont susceptibles d’être soumises à la sanction de l’expérience et d’être ainsi démontrées vraies ou fausses. Elles sont de nature à être directement mises à l’épreuve expérimentale en portant exclusivement sur des entités et des phénomènes observables. Ce qui va garantir leur légitimité, leur scientificité, c’est qu’elles ne peuvent être admises en science que si elles subissent avec succès la vérification expérimentale. Elles peuvent ainsi prétendre se fixer définitivement, en tant que lois expérimentales, dans la connaissance scientifique. Les artifices logiques, qui appartiennent à la deuxième catégorie d’hypothèses, ont pour caractéristiques principales d’être théoriquement et empiriquement fécondes :

« lorsqu’on connaît un certain nombre de phénomènes et de lois, ces phénomènes et ces lois, sans lien entre eux, ne font point un ensemble, un tout. Ils ne permettent pas de prévoir des faits nouveaux et de guider l’expérimentateur dans ses recherches. C’est ici que l’hypothèse devient utile. Elle groupe les phénomènes et les lois et forme de ces phénomènes et de ces lois un ensemble complet, un système. (…) Il y a mieux, l’hypothèse ne se borne pas à classer et à relier les faits déjà connus, elle fait prévoir des faits nouveaux. (…) Elle doit répondre à un nombre de faits supérieurs à celui que l’on connaissant en la créant. (…) Elle fait prévoir mathématiquement les phénomènes encore inconnus susceptibles d’être groupés par elle, elle dirige le savant. (…) On ne peut s’en passer qu’en faisant de la chimie un empirisme dans lequel la science étouffe. » (Naquet (1868), pp. 86-87)

Ainsi, ce qui rend nécessaire l’élaboration et l’usage de la théorie atomique et qui lui confère une valeur et une légitimité est non seulement sa capacité à simplifier, ordonner et classer les lois expérimentales déjà connues, mais aussi et surtout sa fécondité heuristique et empirique, c’est-à-dire sa capacité à prédire des lois expérimentales nouvelles[9].


Source :

- Berthelot, Marcelin (1877), « Réponse à la note de M. Wurtz, relative à la loi d’Avogadro et à la théorie atomique », in Comptes rendus de l’Académie des sciences, n° 84, 1877, p. 1189-1195.

Bensaude-Vincent, Bernadette (2009), « Une science sous influence positiviste ? », in Matière à penser. Essais d’histoire et de philosophie de la chimie, Presses universitaires de Paris Nanterre, Paris, 2009, pp. 199-249. (http://books.openedition.org/pupo/1308)

Deville, Henri Sainte-Claire (1866), « Sur l’Affinité », in Leçons de chimie professées de 1860 à 1869 inclus Société chimique de Paris, T.6, éd. Hachette, Paris, 1866, pp.1-85.

- Laudan, Larry (1971), « Towards a Reassessment of Comte's 'Méthode Positive" », in Philosophy of Science, n°38.1, 1971, pp. 35-53.

- Naquet, Alfred (1895), « Les médecins ignorés. La carrière médicale de M. Naquet contée par lui-même », in La Chronique médicale : revue bi-mensuelle de médecine scientifique, littéraire et anecdotique, n°2, 1895, pp. 42-48.


[1]          Les atomistes hypostasieraient l’atome en une substance existante.

[2]          Les atomistes prétendraient énoncer à travers la théorie atomique le constituant essentiel de la réalité matérielle censé donner naissance aux phénomènes observables.

[3]          Berthelot mobilise à plusieurs reprises un critère phénoméniste de démarcation pour soutenir le système des équivalents et condamner l’hypothèse atomique. Il oppose l’équivalent (entité « susceptible en général d’être réalisée par des expériences précises ») à l’entité inobservable qu’est l’atome (« en réalité, nous ne voyons pas les molécules, et nous n’avons aucun moyen connu de les compter. (…) Qui n’a jamais vu, je le répète, une molécule gazeuse ou un atome ? »). Berthelot (1877), 1195, cité par Bensaude-Vincent (2009). 

[4]          L’argument central, d’ordre historique, invoqué par les positivistes à l’appui de cette thèse, est la fameuse loi des trois états à laquelle Littré (1867) consacre l’article programmatique de la revue.

[5]          En d’autres termes, l’épistémologie positiviste autorise un rapport d’acceptation qui n’est pas en même temps un rapport de croyance. Par là, l’élaboration, l’acceptabilité et l’emploi de la théorie atomique en chimie n’impliquent aucunement la croyance en la réalité de l’atome. Les atomistes en s’accordant avec les présupposés philosophiques et méthodologiques du positivisme dépouillent les hypothèses portant sur des entités inobservables de toute connotation ontologique.

[6]          Alors que Naquet ne cesse de rappeler que la théorie atomique n’est qu’un artifice logique de l’esprit et qu’aucun atomiste ne s’engage ontologiquement à reconnaître l’existence des atomes, Berthelot persistera à accuser les atomistes d’hypostasier les atomes. Il continuera à assimiler l'emploi d'hypothèse portant sur des entités inobservables à une recherche ontologique des causes premières, afin de condamner et d'exclure de la science positive la théorie atomique. Naquet rapporte cette anecdote : « Alors que j’étais sénateur, je dis à Berthelot un jour : « Pourquoi vous obstinez-vous à prendre dans vos formules l’oxygène = 8 et le carbone = 6 ? Pourquoi doubler toujours ainsi les exposants de ces deux éléments ? – « Je serais de votre avis si vous ne considériez pas les atomes comme des entités objectives, presque comme des déités, me répondit M. Berthelot. » Comme je lui répliquai que nous n’avions jamais poussé l’amour de nos théorie jusque-là : « Vous c’est possible, mais Würtz, lui, les a vus, les atomes », de riposter Berthelot avec son fin sourire. » Naquet (1895), p. 44.

[7]          Pour Naquet, la méthodologie des sciences employée par les atomistes s’accorde avec celle du positivisme. Le Chimiste-Philosophe s’appuie sur la 28ème leçon du Cours de philosophie positive au sein de laquelle Comte a élaboré une « théorie fondamentale des hypothses » et à déterminer « les conditions positives qui doivent présider à la formulation et à l’emploi de cet instrument positif. » (Comte (1975), p. 456). D’un point de vue général, le père du positivisme considère les hypothèses comme un instrument nécessaire pour l’élboration d’une science pleinement positive. Comme le souligne Laudan (nous traduisons) « de manière évident, les hypothèses sont pour Comte l’ingrédient le plus fondamental dans la recherche scientifique. » (Laudan (1971), p. 47)

[8]          La 28ème leçon du Cours consacrée aux hypothèses scientifiques, et sur laquelle s’appuie Naquet, a donné naissance à deux formes de positivisme. La première peut être qualifiée de conservatrice. Elle soutient, en interprétant la vérification expérimentale dans un sens fort, que le positivisme nous autorise à employer des hypothèses phénoménales, mais interdit tout usage d’hypothèse portant sur des entités inobservables. La seconde interprétation peut être qualifiée de libérale. Elle soutient que le positivisme reconnaît comme hypothèses légitimes non seulement les hypothèses phénoménales, mais aussi et surtout les hypothèses portant sur des entités inobservables. Cette forme de positivisme autorise ainsi, à condition de ne pas s’engager ontologiquement à l’égard des entités qu’elles postulent, l’emploi d’hypothèses portant sur des entités qui échappent à toute procédure expérimentale directe. Nous reprenons cette distinction entre positivisme conservateur et positivisme libérale à Laudan (1971), pp. 47-50.

[9]          Le concept de prédiction est central dans la pensée positiviste. Il est conçu comme un principe de démarcation à double tranchant. Il permet de faire la distinction entre les énoncés scientifiques (prédictifs) et les énoncés métaphysiques (non prédictifs), ainsi qu’entre les énoncés scientifiques et la simple accumulation empirique de faits d’observation (qui étant sans lien théorique sont stériles d’un point de vue prédictif). Voir à ce sujet, Laudan (1971), pp. 38-39.