Certain et le probable, l’absolu et le relatif (Le)

Titre

Certain et le probable, l’absolu et le relatif (Le)

Année de publication

Périodique de publication

Volume

1

Pagination

165-182

Type d'intervention

Champ Scientifique

Sous-Domaine disciplinaire

Thèse - Objectif :

Présenter le principe fondamental qui ordonne la philosophie positive en système philosophique

Faire la preuve que les propriétés phénoménales de la matière, ordonnées par des lois scientifiques, constituent la réalité empirique, seul lieu possible d’une véritable connaissance positive (principe fondamental du système positiviste)

Acculturation

Non

École philosophique

Positivisme

Référence bibliographique

  • Wyrouboff, Grégoire, « Qu'est-ce que la géologie », in La Philosophie Positive, t.1, Paris, 1867, pp. 31-50.

  • Mill, John Stuart, Auguste Comte et le positivisme, 1865

Discute :

  • Mill, John Stuart, Auguste Comte et le positivisme, 1865

Commentaire Discute
  • Mill dans son ouvrage consacré à la philosophie positive reproche à Comte de ne pas avoir donné un critérium de vérité. Wyrouboff répond à cette critique en montrant que ce critérium est la loi scientifique :

    « M. Mill reproche à M. Comte de n'avoir pas donné le critérium de la vérité : un résultat scientifique une fois obtenu, comment savoir que ce résultat est certain ? dit-il. M. Mill pense que cette lacune provient de ce que M. Comte a rejeté la psychologie et avec elle la logique. Le reproche est injuste et le critique n'est pas fondé. Ce n'est pas M. Comte qui pouvait trouver ce critérium, c'est la science qui devait le lui fournir; ce n'est pas à la philosophie, qui ne fait que relier les diverses parties du savoir humain, d'apprendre à la science ce qu'elle doit considérer comme absolument vrai; c'est au contraire à la science, qui possède toutes les méthodes spéciales pour étudier les vérités d'ordres divers que le monde matériel présente, de dire à la philosophie quel est le terme au delà duquel le doute n'est plus permis. La certidude, en un mot, se trouve dans la réalité même, elle n'est qu'une manière d'être de la réalité que nous devons découvrir, mais que nous ne pouvons pas inventer. Cette propriété consiste en ceci, que le phénomène matériel se reproduit toujours identique dans les mêmes circonstances, et la formule qui l'énonce se nomme loi. Or personne mieux que M. Comte n'a compris que c'est la loi qui nous donne les limites de la certitude, puisqu'il a le premier exprimé nettement que dans la science et dans la philosophie, la loi doit remplacer la cause, que la recherche du comment doit remplacer la recherche du pourquoi. » (Wyrouboff (1867), p.181)

Intervention citée

Non

Intervention discutée

Non

URL

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k77871t/f164.image

Fiche complète

Oui

Créateur de la fiche

Greber, Jules-Henri

Le certain et le probable, l’absolu et le relatif est le deuxième article de fond en philosophie des sciences publié par Wyrouboff au sein de La Philosophie Positive. Parue dans le deuxième numéro du périodique (Septembre-Octobre 1867), l’intervention du Chimiste-Philosophe a pour objectif de présenter le principe fondamental qui ordonne la philosophie positive en système philosophique. Selon ce principe, les propriétés phénoménales de la matière, ordonnées par des lois scientifiques, constituent la réalité empirique, seul lieu possible d’une véritable connaissance positive. L’enjeu est programmatique. En exposant le principe fondamental de la philosophie positive, le Chimiste-Philosophe entend contribuer au succès de l’œuvre de propagande entrepris par le périodique (Wyrouboff (1867), p. 165). Son intervention fait ainsi suite à l’article programmatique de Littré (1867) publié dans la première livraison de la revue et consacré à l’exposé de la méthode, de la doctrine et des conséquences du système positiviste. Wyrouboff, à l’instar de Littré, propose alors une interprétation scientiste[1] et phénoméniste de la philosophie Comtienne. Comme le souligne Clauzade (2016), p. 304, « Les analyses de Wyrouboff, bien qu’opérées dans un cadre comtien, aboutissent donc à une interprétation incontestablement scientiste de la philosophie positive. Selon une orientation propre à l’interprétation de Littré, Wyrouboff comprend le naturalisme comtien comme une sorte d’objectivisme scientiste radical. »

D’un point de vue général, ces deux articles programmatiques prônent une interprétation du positivisme qui se réclame de la première période de l’œuvre de Comte exposée dans le Cours de Philosophie positive. Ce « positivisme incomplet » ou hétérodoxe qui structure d’un point de vue théorique le périodique s’oppose à la religion positiviste et à la méthode subjective développées par Comte dans le Système de Politique Positive et entretenues par Laffitte et les collaborateurs de La Revue occidentale (Clauzade (2016), pp. 301-302).

Cette interprétation scientiste et phénoméniste du positivisme constitue, pour le Chimiste-Philosophe, le schème conceptuel et le cadre théorique au sein duquel son travail éditorial et son activité épistémologique de médiation scientifique vont s’opérer. C’est à travers ce travail que Wyrouboff vise à fournir aux lecteurs les principes positivistes permettant non seulement de s’affranchir des recherches ontologiques et d’éliminer des sciences positives toute forme résiduelle de métaphysique, mais aussi de lutter contre la spécialisation exagérée du travail scientifique[2].

L’argumentation générale de l'intervention peut être présentée de la façon suivante :

i.  Tous les systèmes philosophiques sont fondés sur un axiome, une conception-limite, un principe fondamental. Pour Wyrouboff, « il y a au fond de toute conception du monde un axiome, un postulatum (…). Cet axiome est toujours la dernière limite à laquelle conduise un certain ordre de raisonnements. Au-delà, il n’y a rien ou plutôt il y a l’inconnu qu’on ne veut pas reconnaître. (…) Tous les systèmes philosophiques ont été d’accord, et la différence qui existe entre eux n’a porté que sur le choix de l’axiome qui sert de vérité fondamentale. » (Wyrouboff (1867), pp. 165-166). Ainsi, « toute philosophie a pour limite une conception arbitraire au point de vue des autres philosophies, puisque logiquement cette limite peut être reculée tant qu’on veut, mais qui lui est indispensable puisqu’elle ne peut la franchir avec les méthodes dont elle dispose. » (Wyrouboff (1867), p. 181). Tous les systèmes philosophiques sont par-là mutuellement exclusifs. En choisissant une conception-limite particulière, on doit, « au risque d’aboutir à une absurdité, rejeter résolument des philosophies qui préfèrent d’autres limites à leurs spéculations. » (Wyrouboff (1867), p. 180). 

ii. Le principe fondamental de la philosophie positive soutient que seules les propriétés observables de la matière sont connaissables. Il limite ainsi la sphère du savoir aux données observationnelles de la matière. Wyrouboff soutient que la conception-limite est, pour la philosophie positive « la réalité, c’est-à-dire les propriétés visibles de la matière, qui sont évidemment considérées comme immanentes. » (Wyrouboff (1867), p. 181). Ainsi, « la philosophie positive admet que la réalité seule peut-être vraie. La réalité est donc sa conception-limite qu’elle refuse systématiquement de franchir. » (Wyrouboff (1867), p. 169). Le positiviste « s’arrête devant la matière tangible, qui ne se révèle à nous que par ses propriétés ; il s’arrête devant la part d’univers qui lui est ouverte et inégalement accessible ; en un mot il s’arrête devant la réalité. » (Wyrouboff (1867), p. 175).

iii. Le dogme de la philosophie positive est le résultat de l’évolution historique des systèmes philosophiques. Ce sont les philosophies antérieures qui ont rendu possible l’avènement de la philosophie positive. Ainsi, « depuis le chrétien jusqu’au positiviste, il y a une marche lente et graduelle : une philosophie se substitue peu à peu à une autre philosophie, et chaque philosophie suivante, en apportant un nouvel axiome, un nouveau dogme, par cela même nie et détruit l’axiome et le dogme de la philosophie précédente. » Ces systèmes émergent les uns après les autres grâce au progrès et développement des connaissances et méthodes scientifiques : « La marche progressive des idées philosophiques s’est effectuée en raison directe du développement des connaissances positives : en d’autres termes, la philosophie s’est de plus en plus étroitement liées à la science ; elle s’est de plus en plus inspirée des vérités scientifiques pour accréditer ses croyances. Ce fait, exactement interprété, a permis à la philosophie positive de se constituer et de prendre place dans la longue série de philosophies qui se sont succédé depuis l’enfance de la société humaine. Elle n’arrive pas comme un système enfanté par l’imagination d’un homme, elle n’est pas le produit du hasard, elle est la fille des siècles passés et le but suprême vers lequel tendaient, sans s’en rendre compte, toutes les philosophies (…). La métaphysique athée remplaça l’être invisible par un être visible ; la philosophie positive n’admet de cet être visible que les propriétés observables. La philosophie et la science exacte se confondirent dès lors : l’une ne fut plus que la synthèse de l’autre. Le point de départ devient commun, les méthodes deviennent communes. Là est l’originalité de la philosophie positive. (…) Tout découle de cette fusion de la philosophie avec la science. » (Wyrouboff (1867), pp. 167-168).

La fusion de la philosophie avec la science conduit ainsi à la conception-limite du système positiviste. Wyrouboff, pour justifier le principe fondamental qui se situe à la base de la Philosophie positive, invoque la loi des trois états (Wyrouboff (1867), pp. 166-168).  Elle constitue une loi générale et nécessaire à laquelle est soumis le développement de l’esprit humain. Selon cette loi, « chacune de nos connaissances, passe successivement par trois états théoriques différents : l'état théologique ou fictif ; l'état métaphysique ou abstrait ; l'état scientifique ou positif ».

iv. La Philosophie positive est la science générale qui classe et coordonne les méthodes et les résultats des sciences particulières. Elle est donc la systématisation du mode de pensée scientifique. Ce mode se conforme exclusivement aux règles de la méthode scientifique. L’usage de cette méthode conduit à la connaissance des vérités expérimentales ou lois scientifiques. Ces vérités, qui portent exclusivement sur des entités observables, sont les seules certitudes auxquelles peut arriver l’esprit humain (réalisme empirique). Ainsi, pour Wyrouboff, les propriétés phénoménales de la matière, ordonnées par des lois scientifiques, constituent la réalité empirique, seul lieu possible d’une véritable connaissance positive. Cette systématisation, qui fonctionne comme un critère de démarcation entre le comment et le pourquoi des phénomènes, a pour conséquence principale d’exclure de la connaissance les méthodes et entités métaphysiques telles que les causes et les substances qui échappent à toute procédure expérimentale.

« Ce n’est pas à la philosophie, qui ne fait que relier les diverses parties du savoir humain, d’apprendre à la science ce qu’elle doit considérer comme absolument vrai ; c’est au contraire à la science qui possède toutes les méthodes spéciales pour étudier les vérités d’ordres divers que le monde matériel présente, de dire à la philosophie quel est le terme au-delà duquel le doute n’est plus permis. La certitude (…) se trouve dans la réalité même, elle n’est qu’une manière d’être de la réalité que nous devons découvrir, mais que nous ne pouvons pas inventer. Cette propriété consiste en ceci, que le phénomène matériel se reproduit toujours identique dans les mêmes circonstances, et la formule qui l’énonce se nomme loi. (…) C’est la loi qui nous donne les limites de la certitude, puisqu'il (Comte) a le premier exprimé nettement que dans la science et dans la philosophie, la loi doit remplacer la cause, la recherche du comment doit remplacer la recherche du pourquoi. » (Wyrouboff (1867), 181).

Wyrouboff reprend ainsi la thèse de Comte selon laquelle les recherches scientifiques et philosophiques, parvenues à leur pleine positivité, sont « strictement circonscrites à l’analyse des phénomènes pour découvrir leurs lois effectives, c’est-à-dire, leurs relations constantes de succession ou de similitudes, et ne peuvent réellement concerner leur nature intime ni leur cause ou première ou finale, ni leur mode essentiel de production. »

Pour un commentaire critique de l'article, nous renvoyons à Clauzade (2016), pp. 302-304.

Source :

- Clauzade, Laurent, « Grégoire Wybouroff : Penser la Russie. Essais de sociologie positive appliquée ? », in Archives de Philosophie, t. 79, 2016, pp. 297-316.


[1]          L'interprétation scientiste proposée par Wyrouboff du système postiviste semble totale. Ce dernier soutient ainsi : « La science, par la philosophie, prendra définitivement le gourvernail pour conduire la société vers l'avenir. (...) Nous croyons fermemnt que la civilisation moderne est arrivée à un moment où le point de départ de la science positive est le seul qui permette de suivre une ligne droite et de parcourir sans obstacles une route qui, de réalités en réalités, nous amènera à une hauteur d'où l'on embrasse d'un coup-d'oeil le vaste domaine de ce que l'homme veut et peut savoir » (Wyrouboff (1867), p. 180)

[2]          En 1880, Wyrouboff (1880) abandonne l’interprétation conservatrice et phénoméniste du positivisme au profit d’une interprétation libérale et fictionaliste : « (Les Hypothèses) ont toujours été considérées comme indispensables. Elles ne sont donc pas des produits accidentels de tel ou tel état des esprits, de telle ou telle doctrine régnante, elles nous apparaissent comme intimement liées au développement des recherches scientifiques, comme inséparables des destinées de la science (…). Cette conclusion, fort légitime pourtant, peut provoquer une objection et une objection très sérieuse. On peut dire que les esprits ne sont pas arrivés encore, dans l’immense majorité des cas du moins, à l’état pleinement positif, qu’ils continuent à se laisser bercer par les illusions des causes finales envisagées à un point de vue spiritualiste ou à un point de vue matérialiste ; que, parvenus à la phase strictement scientifique, ils rejetteront définitivement les derniers vestiges des conceptions métaphysiques et ne chercheront plus d’interprétations en dehors de la phénoménalité. C’est là une opinion soutenue par un certain nombre de penseurs se rattachant à l’école positive, une opinion que j’ai longtemps acceptée dans sa forme la plus absolue. Un examen attentif démontre que l’objection peut et doit être écartée. L’hypothèse scientifique (…) est le produit d'un état donné de la science, de l'ensemble de ses faits, de ses lois, de ses théories; elle est une sorte de conclusion suprême de toutes nos connaissances exactes sur un groupe entier de phénomènes naturels. (...) Plusieurs sciences sont arrivées à leur pleine maturité, à une positivité aussi satisfaisante que possible, pourtant elles possèdent toutes des hypothèses pénibement élaborées et qu'elles conservent précieusement. Il me suffira de citer la physique, une science inférieure, par conséquent simple, une science relativement ancienne, extraordinairement riche en faits exacts, en lois précises et directement vérifiables; elle renferme deux grandes hypothèses qui sont des types du genre et dont l'une, née d'hier, se développe, s'accroît tous les jours. (...) Il n'est donc nullement exact de dire que les hypothèses correspondent à la période métaphysique de la science, qu'elles représentent les derniers reste de la méthode à priori; elles coexistent avec les doctrines les plus positives sans les gêner et sans en être aucunement gênées. (...) La plupart des hypothèses scientifiques ont été très fécondes en résultats, elles ont inspiré et dirigé un grand nombre de travaux considérables, et cela dans les parties les plus délicates, les moins accessibles de la science. Comment eussent-elles pu aboutir, d'une façon si constante et si directe à des lois scientifiques, si elles n'étaient qu'une manifestation de la méthode métaphysique ? Cela nous est une preuve de plus qu'elles font corps aevec la science et qu'il n'est nul besoin de les en exclure.» Wyrouboff (1880), pp. 178-179.