Naquet, Alfred Joseph (1834-1916)

Nom, Prénom

Naquet, Alfred

Naissance et décès

Études

Profession

Contributions à la Philosophie des Sciences

Sources de la notice

Etat Civil :

Alfred Naquet est né à Carpentras le 6 octobre 1834. Il descend d'une famille israélite. Il meurt à Paris le 11 novembre 1916.


Formation
: 

Naquet suit des études au Collège de Carpentras. En 1851, il obtient son baccalauréat ès lettres. 

En 1852, il début des études de médecine à la Faculté de médecine de Montpellier. 

En 1853, il quitte Montpellier pour poursuivre ses études à la Faculté de médecinde de Paris. Il est élève au laboratoire du chimiste Charles-Adolphe Würtz (1817-1884)[1].

En 1857, il est licencié ès Sciences-Physiques. 

EN 1859, Naquet obient le doctorat de médecine pour sa thèse sur les Applications de l'analyse chimique à la toxicologie.

En 1860, il concourt pour l'agrégation en chimie (thèse : De l'Allotropie et de l'isométrie). Il échoue suite à une erreur commise dans l'épreuve pratique. 

En 1863, il concourt avec succès pour l'agrégation en chimie (thèse : Des Sucres). Nommé Professeur agrégé de chimie à la Faculté de médecine de Paris en août 1863, il ne prend ses fonctions qu'en novembre 1865.[2]


Carrière Scientifique : 

De 1863 à 1865, Naquet séjourne à Palerme, où il occupe la Chaire de chimie et de physique de l'Instituto technico Governativo. C'est à Palerme qu'il rédige les Principes de chimie fondés sur les théories modernes, premier ouvrage d'enseignement et de vulgarisation consacré à la théorie atomique. Cet ouvrage, qui connait quatre éditions et plusieurs traductions (anglais, allemand, russe) entre 1865 et 1890, contribue à assurer la diffusion de la théorie atomique auprès des étudiants et de la communauté scientifique. Les travaux qu'il réalise dans son laboratoire de Palerme sont publiés dans les Comptes-rendus de l'Accadémie des Sciences de Paris et le Bulletin de la Société Chimique de France

En 1865, de retour en France, il occupe son poste de Professeur agrégé de Chimie à la Faculté de médecine de Paris. Il mène, pendant deux ans, ses travaux et recherches expérimentales au sein du laboratoire de Würtz. 

En 1867, il entre dans la vie politique active. il participe à la formation d'un comité révolutionnaire et organise, en collaboration avec le professeur de droit Émile Acollas (1826-1891), le premier Congrès de la Paix qui se tient à Genève les 11, 12 et 13 septembre 1867. 

En 1868, suite à une condamnation politique pour délit de société secrète, Naquet est privé de sa chaire à la Faculté de Médecine[3]. Il est alors contraint d'abandonner non seulement ses recherches expérimentales, mais aussi sa carrière et son enseignement scientifique[4]. Il poursuit son activité dans le champ des sciences physiques et chimiques en tant que journaliste scientifique. Ainsi, de 1867 à 1911, Naquet publie plusieurs chroniques et feuilletons scientifiques dans des périodiques (TribuneDémocratieLe Moniteur Scientifique). Il rédige plusieurs entrées du Dictrionnaire Universel (1865-1876) de Pierre Larousse et du  Dictionnaire de chimie pure et appliquée de Würtz. 


Engagement sociaux, civiques et politiques :

En 1869, suite à sa condamnation pour la publication de Religion, Propriété, Famille, Naquet s'exile en Espagne en tant que correspondant du Reveil et du Rappel. Une amnestie est accordée par Napoléon III permettant à Naquet de rentrer en France à la fin de l'année 1869.

De 1871 à 1898, il endosse des responsabilités politiques. Il est élu député du Vaucluse de 1871 à 1883, sénateur de la Seine de 1883 à 1890 et député de la Seine de 1889 à 1898. 

Pour des présentations et des études historiographiques des positions et actions politiques du Chimiste-Philosophe, nous renvoyons à Proth (1883), Robert et Cougny (1889), Flax (1909), Chabaud (2002), Portalez (2015).


Activité philosophique et éditoriale en philosophie des sciences :

L’activité éditoriale en philosophie des sciences de Naquet au sein des périodiques philosophiques débute en 1867 et cesse en 1868. Elle se déploie exclusivement dans la revue La Philosophie Positive. Elle se compose de deux articles de fond consacrés à un plaidoyer philosophique en faveur de la théorie atomique[5].

Historiquement, il est le premier chimiste à intervenir au sein des périodiques philosophiques français de cette époque et à diffuser la nouveauté scientifique auprès de la communauté positiviste. Naquet présente plusieurs intérêts manifestes pour la compréhension de la pratique éditoriale et philosophique des scientifiques.

En premier lieu, il introduit, pour la première fois au sein du champ philosophique, les débats scientifiques opposant les atomistes de l’École de Würtz[6] aux anti-atomistes Henri Sainte-Claire Deville[7] (1818-1881) et Marcelin Berthelot (1827-1907). En effet, c’est en octobre 1867, soit quelques mois seulement après la parution du premier numéro de la revue, que le chimiste intervient. Il rapporte les deux célèbres leçons professées devant la Société chimique de France par Deville[8]. Naquet ne se contente pas d’être un simple médiateur scientifique entre les chimistes de la Société chimique et la communauté des positivistes de la revue. Ce dernier prend part directement aux débats qu’il rapporte en prenant ouvertement position en faveur de la théorie atomique. Cet engagement est ce qui va le conduire à opérer une analyse philosophique et à chercher à convaincre le lecteur positiviste de la légitimité de cette théorie. L’analyse philosophique est ainsi motivée par une controverse scientifique et c’est dans un contexte de dispute que l’interprétation libérale du positivisme va être invoquée comme instance de légitimation.

Ensuite, Naquet, à travers une stratégie éditoriale de diffusion et de médiation scientifiques, offre à l’historien de la philosophie des sciences la possibilité de mettre à jour l’une des façon dont un scientifique pouvait faire usage d’un périodique en mobilisant son programme pour défendre une théorie scientifique sur le plan philosophique. Cette stratégie éditoriale repose sur une forme d’argument d’autorité et permet de comprendre pourquoi Naquet a choisi de mobiliser un périodique, qui se propose d’être l’organe de diffusion de la philosophie positive, pour faire son entrée dans le champ de la philosophie des sciences. Son objectif est de légitimer, d’un point de vue philosophique, la théorie atomique en faisant la preuve de son accord avec le programme positiviste de la revue, tout particulièrement son rejet de toute forme de métaphysique dans la connaissance scientifique. En effet, ces interventions ont été principalement motivées par les attaques formulées par Deville et Berthelot à l’encontre de la théorie atomique :

« Les adversaires de la théorie atomique et des formules de constitution nous accusent chaque jour d’oublier les principes de notre science ; ils disent que nous ne faisons plus de la science positive, mais des suppositions toutes gratuites, qui ne conduisent à rien ; qu’en un mot notre chimie est une chimie métaphysique. » (Naquet (1868), p. 88)

En effet, lors de sa conférence, Deville affirme que 

« l’hypothèse des atomes (…) que nous faisons présider à toutes les réactions des corps que nous étudions, sont des pures inventions de notre esprit, des noms que nous faisons substances, des mots auxquels nous prêtons une réalité . (Les atomistes seraient responsables) ce mysticisme scientifique dont la chimie donne en ce moment un dangereux exemple. » (Deville (1866), p. 21)

Ces attaques consistent, d’un point de vue philosophique, à accuser les atomistes de pratiquer une chimie à caractère métaphysique. Une telle accusation repose sur la conviction selon laquelle des scientifiques qui sont amenés à postuler, à travers leur construction théorique, des entités inobservables s’engageraient nécessairement dans un programme de recherche s’apparentant à une forme d’essentialisme scientifique. En d’autres termes, selon Deville et Berthelot, les partisans de la théorie atomique, en faisant usage de théories au sein desquelles sont postulées des entités qui échappent à toute vérification expérimentale directe, seraient nécessairement conduits à s’engager ontologiquement à reconnaître que ces entités existent réellement[9] et qu’elles représentent les causes premières des phénomènes observables[10]. Deville et Berthelot sont conduits à porter une telle accusation du fait, en partie, qu’ils conçoivent la vérification expérimentale dans un sens fort et qu’ils érigent ce dispositif en un critère de démarcation phénoméniste extrêmement strict, ayant pour objectif non seulement de décider du caractère scientifique d’un concept ou d’un énoncé, mais aussi et surtout de fournir un dispositif d’élagage afin de libérer les sciences de toute forme de métaphysique[11]. La pertinence épistémique de cette démarcation repose sur le fait qu’elle évite toute intrusion de la métaphysique dans les sciences. Elle permettrait de définir la frontière entre ce qui est épistémiquement accessible aux scientifiques (le domaine phénoménal) et ce qui ne l’est pas (le domaine extra-phénoménal qui échappe aux moyens expérimentaux). Ainsi, en soutenant qu’un énoncé ne peut légitimement prétendre à la scientificité qu’à la condition de porter exclusivement sur des entités accessibles à l’observation, c’est-à-dire susceptible d’être mis directement, au moyen de procédures expérimentales, en rapport avec des données phénoménales, les anti-atomistes sont conduits à exclure les atomes du domaine de la connaissance scientifique et à dénoncer les scientifiques qui en font usage dans leur construction de s’engager dans une recherche ontologique des causes premières.

Or, le fait de publier un plaidoyer philosophique dans un périodique positiviste et de revendiquer un accord avec son programme philosophique[12] permet de faire la preuve que cette accusation est infondée. En effet,

« le titre même de cette revue prouve surabondamment que nous ne nous portons point les défenseurs des causes occultes. Ennemis de toute métaphysique, soumettant toutes nos théories au contrôle de l’expérience, nous ne pouvons que nous rallier à tout ce qu’a dit M. Deville des mots introduits dans la science pour marquer notre ignorance des causes réelles, mots qui non seulement ont le défaut de ne rien nous apprendre, mais encore celui d’arrêter nos investigations en nous faisant croire que nous savons. [13] » ( Naquet (1867), 85)

Les atomistes, en s’accordant avec les présupposés philosophiques et méthodologiques anti-métaphysique du positivisme[14], dépouillent ainsi les hypothèses portant sur des entités inobservables de toute connotation ontologique. En d’autres termes, les atomistes refusent non seulement la thèse doxastique selon laquelle employer et accepter des théories portant sur des entités inobservables conduit nécessairement à s’engager ontologiquement en faveur de ces entités[15], mais aussi la thèse axiologique prônant l’idée que l’objectif premier et essentiel des sciences chimiques est de construire des théories scientifiques susceptibles de mettre à jour les causes premières des phénomènes. En revendiquant un accord avec le système positiviste[16], le chimiste pose la base du code d’honneur fictionnaliste qui sera systématisé par Wyrouboff (Wyrouboff (1880)). Ce code d’honneur, qui constitue les conditions présidant à l’introduction théorique d’entités inobservables, permet d’exclure toute interprétation ontologique de ces entités. Il consiste à reconnaître que les concepts théoriques portant sur des entités inobservables sont des artifices logiques provisoires de l’esprit n’ayant aucune prétention ontologique :

« Pourquoi donc repousser cette théorie ? Je le concevrais si, à la manière des métaphysiciens antiques, nous acceptions les atomes, les molécules, les groupements atomiques, comme des vérités absolues, comme des faits démontrés. Mais, à l’époque présente, la métaphysique est trop définitivement sortie de toutes les sciences exactes pour pouvoir y rentrer sous quelque forme que ce soit. Les chimistes les plus partisans de la théorie atomique ne considèrent cette théorie que comme une hypothèse (…). » (Naquet (1868), p. 107)

Enfin, après avoir déjoué les attaques des anti-atomistes, Naquet est conduit à examiner la valeur et la fonction de la théorie atomique en tant qu’artifice logique, à partir de la méthodologie de la philosophie positive :

« La philosophie positive, en effet, n’a jamais repoussé les hypothèses. Elle s’est bornée à déterminer dans quels cas elles sont légitimes, scientifiques, utiles, et dans quels cas elles ne le sont pas. Si l’on repoussait les hypothèses d’une manière absolue, toute recherche scientifique se réduirait à un empirisme aussi improductif que fastidieux. La philosophie positive admet d’abord, comme hypothèses légitimes les suppositions qui sont susceptibles d’être soumises à la sanction de l’expérience et d’être ainsi démontrées vraies ou fausses. Elle admet en outre une seconde classe d’hypothèse, à laquelle appartient l’hypothèse atomique (…).[17]» (Naquet (1868), p. 85).

Le Chimiste-Philosophe distingue ainsi deux catégories d’hypothèses dont l’emploi est nécessaire et légitime en science[18] La première catégorie recouvre les hypothèses phénoménales. La deuxième catégorie recouvre les artifices logiques. La différence épistémique entre les deux catégories d’hypothèses repose sur le fait que les conditions de recevabilité en science diffèrent d’une catégorie d’hypothèses à l’autre : la vérification expérimentale pour les premières, des critères pragmatistes pour les secondes. Naquet avance ainsi qu’on ne peut pas attendre des hypothèses portant sur des entités inobservables le même mode de justification que celui qui convient aux hypothèses phénoménales. Il s’attache alors aux conditions d’acceptabilité des deux catégories d’hypothèses. Les hypothèses phénoménales sont des suppositions qui sont susceptibles d’être soumises à la sanction de l’expérience et d’être ainsi démontrées vraies ou fausses[19]. Elles sont de nature à être directement mises à l’épreuve expérimentale en portant exclusivement sur des entités et des phénomènes observables. Ce qui va garantir leur légitimité, leur scientificité, c’est qu’elles ne peuvent être admises en science que si elles subissent avec succès la vérification expérimentale. Elles peuvent ainsi prétendre se fixer définitivement, en tant que lois expérimentales, dans la connaissance scientifique. Les artifices logiques, qui appartiennent à la deuxième catégorie d’hypothèses, ont pour caractéristiques principales d’être théoriquement et empiriquement fécondes[20] :

« lorsqu’on connaît un certain nombre de phénomènes et de lois, ces phénomènes et ces lois, sans lien entre eux, ne font point un ensemble, un tout. Ils ne permettent pas de prévoir des faits nouveaux et de guider l’expérimentateur dans ses recherches. C’est ici que l’hypothèse devient utile. Elle groupe les phénomènes et les lois et forme de ces phénomènes et de ces lois un ensemble complet, un système. (…) Il y a mieux, l’hypothèse ne se borne pas à classer et à relier les faits déjà connus, elle fait prévoir des faits nouveaux. (…) Elle doit répondre à un nombre de faits supérieurs à celui que l’on connaissant en la créant. (…) Elle fait prévoir mathématiquement les phénomènes encore inconnus susceptibles d’être groupés par elle, elle dirige le savant. (…) On ne peut s’en passer qu’en faisant de la chimie un empirisme dans lequel la science étouffe. » (Naquet (1868), pp. 86-87)

Ainsi, ce qui rend nécessaire l’élaboration et l’usage de la théorie atomique et qui lui confère une valeur et une légitimité est non seulement sa capacité à simplifier, ordonner et classer les lois expérimentales déjà connues, mais aussi et surtout sa fécondité heuristique et empirique, c’est-à-dire sa capacité à prédire des lois expérimentales nouvelles. L’élaboration et l’utilisation des artifices logiques dans la connaissance scientifique se justifient à partir de critères épistémiques de nature pragmatiste. Naquet (1868) présente les six hypothèses principales qui constituent la théorie atomique. Cette présentation met en relief le pouvoir prédictif de la théorie en exposant les découvertes qu’elle a rendu possible.

Naquet poursuivra sa campagne épistémologique en faveur de la théorie atomique en mobilisant le positivisme libérale dans Le Moniteur Scientifique (Naquet (1877), Naquet (1900), Naquet (1904) et Naquet (1911)).


Source : 

- Bensaude-Vincent, Bernadette (2009), « Une science sous influence positiviste ? », in Matière à penser. Essais d’histoire et de philosophie de la chimie, Presses universitaires de Paris Nanterre, Paris, 2009, pp. 199-249. (http://books.openedition.org/pupo/1308)

- Chabaud, Jean-Paul (2002), Alfred Naquet, Parlementaire Comtadin, "Père" du Divorce, éd. Etudes Comtadines, Pernes-les-Fontaines, 2002.

- Deville, Henri Sainte-Claire (1864), « Sur la Dissociation », in Leçons de chimie professées de 1860 à 1869 inclus Société chimique de Paris, T.5, éd. Hachette, Paris, 1864, pp. 255-353.

- Deville, Henri Sainte-Claire (1866), « Sur l’Affinité », in Leçons de chimie professées de 1860 à 1869 inclus Société chimique de Paris, T.6, éd. Hachette, Paris, 1866, pp.1-85.

- Flax (1909), « Alfed Naquet », in Les Hommes du jour, n°73, 12-06-1909,  (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k442309n.item)

- Laudan, Larry (1971), « Towards a Reassessment of Comte’s ‘Methode Positive’ », in Philosophy of Science, Vol. 38, No. 1 (Mar., 1971), pp. 35-53.

- Lestel, Laurence (2007), 
Itinéraires de chimistes, éd. EDP sciences, Paris, 2007

- Naquet, Alfred (1895), « Les médecins ignorés. La carrière médicale de M. Naquet contée par lui-même », in La Chronique médicale : revue bi-mensuelle de médecine scientifique, littéraire et anecdotique, n°2, 1895, pp. 42-48. (http://www.biusante.parisdescartes.fr/histoire/medica/resultats/index.php?p=44&do=page&cote=130381x1895x02)

- Pigeard-Micault, Nathalie (2011), Charles-Adolphe Wurtz, Un savant dans la tourmente, éd. Hermann, Paris, 2011.

- Portalez, Christophe (2015), Alfred Naquet et ses amis politiques : patronage, influence et scandale en République (1870-1898), Université d'Avignon, 2015.

- Proth, Mario (1883), A. Naquet, éd. A. Quantin, Paris, 1883 (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k411661m)

- Robert, Adolphe, Bourloton, Edgar et Cougny, Gaston (1889, Dictionnaire des parlementaires français : depuis le 1er mai 1789 jusqu'au 1er mai 1889, éd. Bourloton, Paris, 1889-1891 : (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k837081 / http://www2.assemblee-nationale.fr/sycomore/fiche/%28num_dept%29/5506)


[1]          Würtz, Charles-Adolphe (1817-1884). En 1834, il entre à la Faculté de médecine de Strasbourg. En 1839, il est nommé Chef des travaux de chimie à la Faculté de médecine de Strasbourg. En 1843, il est docteur de médecine. En 1844, il travaille au laboratoire privé de Jean-Baptiste Dumas. En 1845, il est l’assistant de Dumas à l’Ecole de médecine de Paris. En 1849, il est chargé de cours de chimie organique à l’Ecole de médecine. De 1859 à 1852 ; il est professeur de chimie à l’Institut agronomique de Versailles. En 1853, il occupe la chaire de chimie à la Faculté de médecine de Paris (chaire de chimie organique et chaire de chimie minérale et de toxicologie). En 1866, il est nommé Doyen de la Faculté de médecine. En 1875, il est titulaire de la chaire de chimie organique de la Faculté des sciences de Paris. C’est dans les années 1850 que Naquet rencontre Würtz qui devient son ami et son initiateur aux sciences chimiques. Les deux hommes collaborent à plusieurs reprises. Pour une biographie scientifique de Würtz, nous renvoyons à Lestel (2007), p. 545. Pour une étude historiographique du parcours de Würtz, nous renvoyons à Piegard-Micault (2011).

[2]          Les agrégés nouvellement nommés deviennent stagiaires et doivent attendre 3 ans, sans traitement, avant de prendre leurs fonctions : « N’allez pas croire qu’une fois nommé, j’entrai tout de suite en fonctions. A cette époque on devait faire un stage de 3 ans, à partir de la date du début du concours. Comme les candidats pour les chaires de sciences accessoires passaient les derniers, je n’eus que deux ans à attendre. » Naquet (1895), p. 44.

[3]          Suite aux propos tenus lors de la clôture du Congrès le 13 septembre 1867 (« Je (Naquet) propose au congrès de ne pas se séparer sans un vote de flétrissure à la mémoire de Napoléon 1er, le plus grand malfaiteur du siècle »), Naquet est arrêté à la frontière. Il est accusé d’avoir colporté des livres et brochures contre l’empire. En décembre 1867, il est condamné par l’empire pour délit de société secrète et manœuvres à l’intérieur à 15 mois de prison et à la privation de ses droits civiques pendant 5 ans. En 1869, il est condamné à 4 mois de prison et à la privation à perpétuité de ses droits civiques et politiques pour la publication de Religion, Propriété, Famille.

[4]          « Reprendre la chimie ? C’est mon rêve doré mais c’est impossible. La science, j’en suis convaincu ne peut réussir qu’à ceux qui ont des moyens d’existence et qui peuvent lui donner tout leur temps, ce qui n’est pas mon cas. Quand il faut gagner sa vie et celle de sa famille et qu’on n’a pas une de ces santés qui permettent quatorze ou quinze heures de travail par jour, expérience faite, j’y ai renoncé. » Cité par Chabaud (2002), p. 38.

[5]           Les titres des deux interventions du Chimiste-Philosophe, « De l’affinité » et « De l’Atomicité », correspondent aux deux concepts fondamentaux de la théorie atomique de l’École de Würtz.

[6]           Il convient de souligner que Naquet est l’unique chimiste de l’École de Würtz à intervenir dans un périodique philosophique pour défendre la théorie atomique.

[7]           Henri Sainte-Claire Deville (1818-1881), formé à la chimie expérimentale par Louis Jacques Thenard (1777-1857) et Jean-Baptiste Dumas (1800-1884), est docteur ès sciences physiques (1841), docteur en médecine (1843) et licencié ès sciences mathématiques (1843). Il est professeur de chimie à la Sorbonne. Pour plus de précisions sur la biographie du chimiste, nous renvoyons le lecteur Lestel (2007), pp. 475-481.

[8]           Deville (1864) et Deville (1866).

[9]           Les atomistes hypostasieraient l’atome.

[10]           Les atomistes prétendraient énoncer à travers la théorie atomique, le constituant essentiel de la réalité matérielle censé donner naissance aux phénomènes observables.

[11]           Deville et Berthelot préconisent une méthodologie des sciences empiriste et inductiviste. Ils soutiennent que les lois scientifiques doivent être construites par induction à partir de l’observation sans avoir recours à des hypothèses théoriques. Pour une étude des principes épistémologiques invoqués par Berthelot dans la controverse qui oppose atomistes et anti-atomistes, nous renvoyons à Bensaude-Vincent (2008).

[12]           Naquet soutient qu’il est en mesure de repousser les attaques des anti-atomistes « en faisant voir que la théorie atomique et les formules de constitution qui en découlent, sont des théories et des hypothèses parfaitement légitimes, permises, même par la philosophie la plus scrupuleuse à ce point de vue, par la philosophie positive. » Naquet (1868), 313. La revendication du chimiste d’un accord avec le système positiviste permet d’exclure toute interprétation ontologique des concepts théoriques portant sur des entités inobservables.

[13]           Voir aussi Naquet (1900), 486.

[14]          L’une des caractéristiques du positivisme est de proscrire la métaphysique des sciences positives. L’argument central, d’ordre historique, invoqué par les positivistes à l’appui de cette thèse, est la fameuse loi des trois états à laquelle Littré (1867) consacre l’article programmatique de la revue.

[15]          En d’autres termes, l’épistémologie positiviste autorise un rapport d’acceptation qui n’est pas en même temps un rapport de croyance. Par là, l’élaboration, l’acceptabilité et l’emploi de la théorie atomique en chimie n’impliquent aucunement la croyance en la réalité de l’atome. 

[16]          Ainsi, pour Naquet, « le positivisme a été dans le vrai lorsqu’il a déclaré la raison pure impuissante à nous faire connaître des vérités objectives. En réduisant les hypothèses sur la nature intime des choses, sur le noumène, à de simples artifices de l’esprit, à de simples fils d’Ariane capables de nous diriger dans le labyrinthe des recherches, en refusant de leur attribuer aucun caractère de réalité, il a posé la véritable base de la connaissance scientifique ». Naquet (1904), 486.

[17]          Naquet s’appuie sur la 28èmeleçon du Cours de philosophie positive au sein de laquelle Comte a élaboré une « théorie fondamentale des hypothses » et à déterminer « les conditions positives qui doivent présider à la formulation et à l’emploi de cet instrument positif. » (Comte (1975), p. 456). D’un point de vue général, le père du positivisme considère les hypothèses comme un instrument nécessaire pour l’élboration d’une science pleinement positive. Comme le souligne Laudan (nous traduisons) « de manière évident, les hypothèses sont pour Comte l’ingrédient le plus fondamental dans la recherche scientifique. » (Laudan (1971), p. 47)

[18]          La 28ème leçon du Cours consacrée aux hypothèses scientifiques, et sur laquelle s’appuie Naquet, a donné naissance à deux formes de positivisme. La première peut être qualifiée de conservatrice. Elle soutient, en interprétant la vérification expérimentale dans un sens fort, que le positivisme nous autorise à employer des hypothèses phénoménales, mais interdit tout usage d’hypothèse portant sur des entités inobservables. La seconde interprétation peut être qualifiée de libérale. Elle soutient que le positivisme reconnaît comme hypothèses légitimes non seulement les hypothèses phénoménales, mais aussi et surtout les hypothèses portant sur des entités inobservables. Cette forme de positivisme autorise ainsi, à condition de ne pas s’engager ontologiquement à l’égard des entités qu’elles postulent, l’emploi d’hypothèses portant sur des entités qui échappent à toute procédure expérimentale directe. Nous reprenons cette distinction entre positivisme conservateur et positivisme libérale à Laudan (1971), pp. 47-50.

[19]          Naquet précisera en 1904, au sein du Moniteur Scientifique, que ces hypothèses sont de « simples conjectures, susceptibles de recevoir de l’expérience une confirmation ou un démenti (…). Ces hypothèses-là sont non seulement licites mais nécessaires : elles ne demeurent d’ailleurs qu’un temps très court à l’état hypothétique ; l’expérience vient bien vite ou leur donner un caractère de certitude ou les éliminer comme fausses. » Naquet (1904), p. 485.

[20]          Le concept de prédiction est central dans la pensée positiviste. Il est conçu comme un principe de démarcation à double tranchant. Il permet de faire la distinction entre les énoncés scientifiques (prédictifs) et les énoncés métaphysiques (non prédictifs), ainsi qu’entre les énoncés scientifiques et la simple accumulation empirique de faits d’observation (qui étant sans lien théorique sont stériles d’un point de vue prédictif). Voir à ce sujet, Laudan (1971), pp. 38-39.