Affinité (De l’)

Titre

Affinité (De l’)

Année de publication

Périodique de publication

Volume

1

Pagination

313-321

Type d'intervention

Champ Scientifique

Domaine disciplinaire

Théorie scientifique examinée

Thèse - Objectif :

Défendre le concept d'affinité chimique contre les attaques formulées par Henri Sainte-Claire Deville

Montrer que le concept d'affinité chimique employé par les atomistes n'est pas une cause occulte

Acculturation

Oui

École philosophique

Positivisme

Référence bibliographique

  • Deville, Henri Sainte-Claire, « Sur la Dissociation », in Leçons de chimie professées de 1860 à 1869 inclus Société chimique de Paris, T.5, éd. Hachette, Paris, 1864, pp. 255-353.

  • Deville, Henri Sainte-Claire, « Sur l’Affinité », in Leçons de chimie professées de 1860 à 1869 inclus Société chimique de Paris, T.6, éd. Hachette, Paris, 1866, pp.1-85.

  • Würtz, Adolphe, Dictionnaire de chimie pure et appliquée, Hachette, Paris, 1869-1908

  • Salet, Georges, Dictionnaire de chimie pure et appliquée, Hachette, Paris, 1869-1908

Commentaire référence bibliographique

Discute :

  • Deville, Henri Sainte-Claire, « Sur la Dissociation », in Leçons de chimie professées de 1860 à 1869 inclus Société chimique de Paris, T.5, éd. Hachette, Paris, 1864, pp. 255-353.

  • Deville, Henri Sainte-Claire, « Sur l’Affinité », in Leçons de chimie professées de 1860 à 1869 inclus Société chimique de Paris, T.6, éd. Hachette, Paris, 1866, pp.1-85.

Commentaire Discute
  • Naquet répond aux attaques formulées par Henri Sainte-Claire Deville (1818-1881) à l'encontre du concept d'affinité :

    « M. Deville repousse cette expression. Qu'est-ce donc que l'affinité, nous dit-il, qu'est-ce donc qu'une force non mesurable, une force qui ne se manifeste par rien Si l'on expose a soleil un gramme d'un mélange à volumes égaux de chlore et d'hydrogène, on obtient de l'acide chlorhydrique en même temps qu'il se dégage 652 calories. Si l'on rend à l'acide chlorhydrique ces 652 calores, cet acide se détruit et l'on retrouve les éléments séparés, chlore et hydrogène, avec leurs affinités respectives. Il n'est pas nécessaire d'inventer, pour s'expliquer ces faits, une force particulière, il n'y a que transofmoration de travail intra-moléculaire en chaleur et vice versa. L'affinité est une hypothèse inutile, nuisible même, parce qu'en science tout ce qui ne sert pas nuit. Il n'y a dans tout cela qu'un malheure, c'est que M. Deville nous prête des opinions que nous n'avons jamais eues. Il s'est évidemment mépris sur le sens que nous attachons au mot affinité. Cela est si vrai qu'il dit lui-même : « Si l'on veut absolument conserver le mot affinité, ne le considérons plus comme la force qui préside aux phénomènes chimiques, admettons-le comme représentant une qualité, une propriété qu'ont les corps de se combiner ou de ne pas se combiner dans telles ou telles circonstances, comme les uns sont colorés et les autres ne le sont pas. » Nous n'avons jamais dit autre chose. Nous n'avons jamais prétendu qu'il y eût un fluide particulier, une force sui generis d'où dépendraient les phénomènes chimiques; nous avons dit seulement que certains corps ont de la tendance à se combiner entre eux, et c'est à cette propriété, à cette qualité spéciale que nous avons donné le nom d'affinité. » (Naquet (1867), pp. 313-314). 

Intervention citée

Non

Intervention discutée

Non

URL

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k77871t/f312.image

Fiche complète

Oui

Créateur de la fiche

Greber Jules-henri

De l'affinité est le premier article de fond en philosophie des sciences publié par Naquet au sein de La Philosophie Positive. Parue en 1867, l'intervention du Chimiste-Philosophe est motivée par les attaques formulées par Henri Sainte-Claire Deville contre le concept chimique d'affinité de l'École atomiste de Würtz.  L'objectif du texte est de faire la preuve que l'affinité n'est pas une cause occulte mais un concept positif parfaitement légitime en chimie. 


L'attaque principale formulée par Deville consiste à placer les atomistes parmi les chimistes qui persistent à poursuivre le « rêve newtonien » en définissant et en employant la notion d’affinité chimique comme une force. Cette accusation permet alors à Deville de rendre responsable les chimistes de l’École de Würtz d’une réhabilitation des causes occultes dans la science chimique. Cette dénonciation prend place au sein d’une stratégie visant à éliminer des sciences physico-chimiques l’ensemble des hypothèses atomistes.

L’argumentation de Deville peut être reconstruite comme suit[1] :

i. Les atomistes, selon Deville, définissent et emploient le concept d’affinité comme « la force qui préside aux combinaisons chimiques ». 

ii. Si i, alors les atomistes poursuivraient le « rêve newtonien » des chimistes du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle[2]. Cette entreprise représente les différentes tentatives pour « mathématiser la chimie à partir du concept d’affinité assimilée à une force.[3] » L’objectif premier est ainsi de transformer le concept jusqu’alors qualitatif d’affinité en un concept quantitatif.

iii. Or, les différentes tentatives des chimistes[4] visant à donner à l’affinité le statut de concept quantitatif en l’assimilant aux forces attractives entre les particules des corps simples ont toutes échoué[5].

iv. Etant donné l’impossibilité de toute mesure de la force qui préside aux réactions chimiques, et qui était censée rendre possible à la fois l’interprétation numérique de l’affinité et l’expression de lois chimiques quantitatives, Deville soutient qu’il est nécessaire de mettre fin aux différentes entreprises menées jusqu’à présent dans les sciences physico-chimiques pour réaliser la demande newtonienne. Pour Deville, ces entreprises sont donc vaines et inutiles :

« Il est bien évident que toutes ces hypothèses sont inutiles. Admettre des forces quand on ne connaît pas la loi de leur action sur la matière, c’est imposer gratuitement à la science une cause occulte, dont l’utilité serait contestable, dont le danger est évident, parce qu’elle tendrait à nous éloigner de l’étude analytique des phénomènes qu’on attribut à son action. En effet, que serait aujourd’hui l’hypothèse d’une force appelée gravitation universelle, si on ne savait en même temps qu’elle s’exerce en raison inverse du carré des distances, et en raison directe des masses, que cette hypothèse a pour conséquence les lois de Kepler, desquelles on peut également partir pour la fonder ? » (Deville (1866), p. 10).

C’est parce que les chimistes ne sont pas parvenus à mettre en place une méthode susceptible de déterminer numériquement la force qui préside aux réactions chimiques que Deville est conduit à considérer l’affinité comme une cause occulte. Maintenir alors l’affinité comme la force qui préside aux réactions chimiques revient à introduire en science une cause occulte. Deville apparaît ainsi comme un phénoméniste extrêmement strict présupposant une forme d’opérationnalisme[6].

v. Cependant, et étant donné l’importance que revêt le concept d’affinité dans le vocabulaire des chimistes, Deville est conduit à concéder l’usage de cette notion en tant que concept qualitatif :

« Si l’on veut absolument conserver le mot affinité, ne le considérons plus comme la force qui préside aux phénomènes chimiques. Admettons-le comme représentant une qualité, une propriété qu’on les corps de se combiner ou de ne pas se combiner dans telles ou telles circonstances, comme les uns sont colorés et les autres ne le sont pas » (Deville (1866), p. 13).
Deville rejoint par là l’ensemble des chimistes empiristes de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle qui s’opposaient aux programmes newtoniens et qui « jugeaient inutile et contraire à la finalité de la chimie toute recherche au sujet des causes premières de l’action chimique.[7] » Ces derniers étaient ainsi conduits à maintenir l’affinité comme un concept qualitatif susceptible d’être utilisé en science comme un concept comparatif voir classificatoire.

La réponse de Naquet consiste à refuser la première prémisse de l’argumentation de Deville selon laquelle les atomistes définissent et emploient l’affinité comme la force qui préside aux réactions chimiques. Le Chimiste-Philosophe tente de montrer que les opposants aux théories atomistes prêtent aux partisans de ces dernières des propos qu’ils n’ont jamais soutenus[8]. En d’autres termes, les atomistes n’ont « jamais prétendu qu’il y eut un fluide particulier, une force sui generis d’où dépendraient les phénomènes chimiques ». Ils ont seulement soutenu « que certains corps ont de la tendance à se combiner entre eux et c’est à cette propriété, à cette qualité spéciale que nous avons donné le nom d’affinité. » (Naquet (1867), p. 314).

Source :

- Bensaude-Vincent, Bernadette (2009), « Une science sous influence positiviste ? », in Matière à penser. Essais d’histoire et de philosophie de la chimie, Presses universitaires de Paris Nanterre, Paris, 2009, pp. 199-249. (http://books.openedition.org/pupo/1308)

- Deville, Henri Sainte-Claire (1864), « Sur la Dissociation », in Leçons de chimie professées de 1860 à 1869 inclus Société chimique de Paris, T.5, éd. Hachette, Paris, 1864, pp. 255-353.

- Deville, Henri Sainte-Claire (1866), « Sur l’Affinité », in Leçons de chimie professées de 1860 à 1869 inclus Société chimique de Paris, T.6, éd. Hachette, Paris, 1866, pp.1-85.

- Goupil, Michelle (1991), Du Flou au Clair ? Histoire de l’affinité chimique de Cardan à Prigogine, éd. Du CTHS, Paris, 1991.

- Lestel, Laurence (2007), Itinéraires de chimistes, éd. EDP sciences, Paris, 2007.


[1]          Nous sommes redevables ici aux recherches historiques menées par Michelle Goupil au sujet de l’affinité chimique et publiées dans Goupil (1991). L’un des objectifs historiographiques de la chercheuse est de montrer, en s’appuyant sur la classification des concepts scientifiques proposée par Rudolf Carnap (Les Fondements philosophiques de la physique), comment « l’affinité chimique, qui représente la tendance ou l’aptitude de deux corps à s’unir, est passée par les trois stades de concepts classificatoire, comparatif et quantitatif ».

[2]          Selon l’historiographie établie par Goupil au sujet de l’affinité, le « rêve newtonien » débute avec les travaux de Newton en chimie et s’achève dans les premières décennies du XIXe siècle.

[3]          Goupil (1991), p. 241.

[4]          Pour une présentation et une analyse de ces différentes tentatives au cours de l’histoire de la chimie, nous renvoyons le lecteur à Goupil (1991), pp. 89 à 241.

[5]          Goupil souligne à ce sujet que  cette entreprise qui, « des premiers disciples britanniques de Newton au début du XVIIIe siècle jusqu’aux derniers, principalement les français Berthollet, Laplace et Ampère, le danois Oersted et les britanniques Davy et Faraday au début du siècle suivant, n’abouti qu’à des échecs. En effet, aucune véritable mesure ne fut possible, aucune grandeur exprimant l’affinité ne peut-être définie. Ainsi, (…) l’affinité chimique est restée un concept qualitatif. » Goupil (1991), p. 245. Il faudra attendre l’introduction des principes de la thermodynamique en chimie pour que les premières déterminations numériques de l’affinité puissent être effectuées. En effet, « la thermodynamique propose à la chimie une théorie explicative des phénomènes à l’échelle de ses observations en lui fournissant en même temps les principes et les grandeurs nécessaires à leur expression mathématique ». Pour plus de précisions, nous renvoyons le lecteur à Goupil (1991), pp. 245-316.

[6]          Pour le chimiste, il apparaît que tout énoncé qui renvoie à des entités inaccessibles à l’observation directe et à la mesure expérimentale est inadmissible en science. Le principe épistémologique sous-jacent à l’argumentation de Deville est un critère opérationnaliste : pour être acceptable, un concept scientifique doit pouvoir se prêter aux mesures expérimentales. Le chimiste utilise ici l’opération de mesure comme un critère épistémologique permettant de départager les énoncés scientifiques (i.e ceux accessibles aux mesures expérimentales et pouvant donner lieu à la formulation de lois quantitatives) des énoncés métaphysiques (i.e l’ensemble des forces inaccessibles à l’expérimentation et à toute procédure de mesure expérimentale). Cela transparaît à plusieurs reprises dans sa conférence. Nous pouvons en effet relever le passage suivant : « Il faut donc laisser de côté dans nos études toutes ces forces inconnues auxquelles on n’a recours que parce qu’on n’en a pas mesuré les effets. Au contraire, toute notre attention doit être fixée sur l’observation et la détermination numérique de ces effets, lesquels sont seuls à notre portée. (…) Etudions donc simplement les circonstances physiques qui accompagnent la combinaison, et nous verrons combien de rapprochements curieux, combien de phénomènes mesurables s’offrent à nous à chaque instant. » (Deville (1864), pp. 257-259.

[7]          Pour une présentation de cette tradition, voir Goupil (1991). 

[8]          « Il n’y a dans tout cela qu’un malheur, c’est que M. Deville nous prête des opinions que nous n’avons jamais eues. Il s’est évidemment mépris sur le sens que nous attachons au mot affinité ». Naquet (1867), p. 314.